La non-fabrique du consentement en milieu médical

Thérapies de conversion, chirurgie intersexe, prise en charge médicale du handicap : le but principal du système médical est de te rendre normal, de te rendre procréativement et économiquement productif. Y compris contre ton gré, contre tes instincts, contre tes inclinations : c’est à dire par la force.
Les perpétrateurs de la violence croient qu’ils font le bien. Et ils y croient si fort qu’ils n’essayent même pas de t’en convaincre. Alors même que toi tu souffres, non pas de ta situation, mais des conséquences directes de leurs actes.
Comme si c’était possible d’exercer une domination médicale « pour le bien ».

Le pouvoir médical se construit hors de la notion même de consentement. Pas « contre » ou « sans » le consentement des individus, mais contre le principe même qu’il existe la possibilité de consentir ou de ne pas consentir.
Selon le pouvoir médical, il exige, et le patient obtempère. C’est un monde où la notion même de choix n’existe pas.
Pas de choix = pas de refus possible = on ne te demande pas ton avis, ton consentement, puisque quoi que tu dises ou fasses, quoi que tu veuilles, tu vas y passer.


Ça se matérialise par une une contrainte que tu subis dans l’enfance, parce que tu es un enfant, et que les enfants obéissent aux adultes. On ne t’explique pas grand chose, si ce n’est que c’est important pour « plus tard ». Comme si un enfant de 4, 8, 12 ans, pouvait se figurer ce que ça représente d’en avoir 20, 30, 45, 70.
Par ailleurs, on peut éthiqument s’interroger sur ton degré d’information et les modalités de recueil de ton consentement, en tant qu’enfant, par rapport aux procédures auxquelles tu dois te soumettre.
On parle quand même d’enfants, de mineurs, qui passent un temps considérable entourés d’adultes, qui ne se sont pas toujours présentés, dont le rôle est directement de toucher ton corps, de l’observer, le mouvoir, le filmer, le mesurer. Ton corps parfois en partie déshabillé. Ton corps dans sa vulnérabilité. Ton corps dans ses excès, ses limites, ses écarts à la norme. Certaines de ces procédures peuvent susciter de l’inconfort, de la gène, de la douleur.
Ton corps et toute ta personne intégrée, avalée et assimilée par l’institution totale qu’est l’hôpital, le système de soins.

Il y a des règles qui s’appliquent à tous les enfants, et il y a des règles qui ne s’appliquent qu’à toi. Manquer l’école pour aller jouer au square ? Non ! Manquer l’école pour aller chez le kiné ? Oui. Manquer l’école pour un séjour en colonie de vacances ? Non ! Manquer l’école pour un séjour à l’hopital ? Oui.
ça va très vite, à comprendre que ce qu’exige ou prescrit le corps médical, tu dois obtempérer, ainsi que tes proches. Parce que « c’est pour ton bien ». Même si ça t’occupe un soir par semaine que tu aimerais mieux passer autrement. Même si ça fatigue, même si ça fait mal. Même si tu ne comprends pas la finalité, et que personne ne s’est dit que ça serait une bonne idée de te l’expliquer. Même si personne d’autre dans ton entourage, ni enfant ni adulte, n’est ainsi soumis au pouvoir arbitraire de l’autorité médicale.
L’école, la famille, ce sont des expériences collectives. Ce n’est pas toujours génial, mais on est ensemble. Ce sont des lieux où se construisent les générations. Mais pour toi ? Tout un pan de ton expérience sociale se trouve comme effacé, nié. Personne avec qui en parler, personne avec qui comparer. Difficile, dans ce cadre, de prendre du recul, de construire du sens.
Dans la vie des enfants valides, il faut obéir aux parents, obéir à l’école.
Dans la vie des enfants handicapés, il faut obéir aux médecins, puis obéir aux parents, obéir à l’école.

Heureusement que dans mon expérience personnelle, il y a un peu de sable dans les rouages de cette machine si bien huilée.
– Il y a ces valeurs éducatives, scolaires comme familiales, où l’obéissance n’est pas une valeur cardinale. Une philosophie où il y a la place pour questionner et critiquer la légitimité des discours, et celle des figures d’autorité qui les prononcent.
– Il y a cette expérience, largement individuelle et intérieure, de la pratique sportive, et d’un espace d’exploration du corps hors des carcans érigés par la médecine, hors des normes écrasantes des corporalités valides.
– Il y a cette découverte, quasi simultanée à la toute fin des années 2000, de ce qu’est un parcours trans « typique », et de ce qu’on n’est pas obligé de s’y plier au prétexte qu’il aurait été imaginé par des professionnels de santé. Les chemins de traverse existent.
– Il y a surtout, tous ces discours d’empowerment, en faveur de la dépathologisation des parcours trans, et plus largement, de leur démédicalisation.

N’allons pas croire pour autant que la médecine trans soit un havre d’émancipation. Si seulement. Le pouvoir s’y exerce là aussi dans toute sa violence et ses pratiques normatives. Parfois directes, parfois plus insidieuses. Un chirurgien lyonnais réputé pour ses mammectomies durant les années 2010. Sa réputation le précède. Il valorise les personnes jeunes, minces, sportives, et (sans surprises) assez conformes au moule défini par l’hétérosexualité et la masculinité hégémonique classique. Nombreux sont ceux qui rapportent ses propos en pré/post opératoire : « Avec un peu de muscu, ton torse sera parfait ».
(ça veut dire quoi, parfait ?)
Mais en fait, je te demande juste de m’enlever les seins ? Je ne t’ai pas demandé de m’imposer ta vision ennuyeuse des corps masculins, juste de pratiquer un acte chirurgical technique ?
Je ne m’engage pas à avoir un torse d’athlète (c’est quoi un athlète ?) ni maintenant ni pour le restant de mes jours. Non, je ne vais pas faire de la muscu, et oui, j’aurai du gras sur le bide, des cicatrices de mammec, une pilosité pas très élégante, dest petits bourrelets, une scoliose, la peau blanche comme le ventre d’un poisson. Bref, un torse parfait. Et tu ne vas rien faire. Les personnes trans que tu opères à un instant t ne s’engagent pas sur l’apparence qu’aura leur torse (« ton travail » mais nos corps) 6 mois, 2 ans, 10 ans, 40 ans plus tard.

Mais alors, s’il est possible, dans le cadre d’une transition, de choisir ses médecins, et de ne solliciter leurs interventions que dans un but précis et délimité par moi… Cela signifie-t-il… Que je peux, pour toute autre situation, selon ma volonté et mes intentions personnelles, faire appel (ou non) à l’expertise des professionnels de santé (éventuellement à d’autres expertises), avant de décider de ce que je souhaite faire, indépendamment de ce que la médecine normative et capitaliste estime être « bon pour moi » ?
C’est ce que j’ai choisi de comprendre en tous cas.

C’est grâce à mon coming out trans que j’ai compris qu’il existait une autre manière de naviguer le corps médical. En posant comme préalable que j’ai décidé de mon propre chef d’être là. Être trans m’a appris non seulement qu’on pouvait discuter avec le corps médical,  mais qu’il le fallait.

Désormais face à un médecin, je sais que si je le veux et quand je veux, je m’en vais. Savoir que je peux partir quand je veux (et le faire savoir) change radicalement l’équilibre des pouvoirs. Ils répondront à mes questions. Ils m’expliqueront les alternatives. Quand je consulte un professionnel de santé, surtout si ça concerne le handicap ou la transidentité, ce n’est pas un diagnostic que je viens chercher. S’ils veulent me proposer une prise en charge, non seulement ils devront recueillir mon consentement, mais surtout ils devront me convaincre du bien-fondé de leur démarche.
Ce que le corps médical m’a imposé dans le cadre de ma transition, d’argumenter pour légitimer ma demande de prise en charge, à présent c’est moi qui le leur impose, comme un retour de balancier.

 La puissance du pouvoir médical est à double tranchant : le système dans lequel ils évoluent est très fort à transformer les individus en patients, objets de soins passifs, apeurés et déshumanisés. Tant et si bien que les professionnels de santé n’ont pas souvent travaillé leurs capacités argumentatives. Face à un individu armé d’un minimum de répondant, la pauvreté de leur argumentation éclate au grand jour. Ils ont zéro pouvoir de conviction, leurs idées s’appuient sur des croyances et des stéréotypes, pas sur des faits.

Une fois que tu comprends ça, tu reprends le pouvoir. Tu es libre.


Comme je l’ai écrit ailleurs : être une personne handie m’a donné des billes et m’a beaucoup aidé pour comprendre les règles du système de santé dans le cadre de ma transition. Mais être une personne trans m’a beaucoup aidé pour prendre de la distance, développer ma critique du système de santé, et y naviguer avec bien plus de confiance et de force, en tant que personne handie.
Exiger et accomplir une transition médicale m’ont véritablement fait basculer « de bénéficiaire du système de soin » à « chef d’orchestre » d’un écosystème de soin que je construis.
Merci les adelphes. Ensemble on est plus forts.

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