Un détour par les sports d’hiver

Je n’avais pas prévu d’écrire particulièrement sur les sports d’hiver. Mais comme j’ai décidé que mes écrits devaient être aussi bruts et spontanés que possibles… Allons y. (Et sans surprise : on retombe sur la question habituelle des représentations et du validisme) L’année passée, un membre de ma famille, bon skieur, a proposé à une de nos amies communes, handie et qui se déplace avec des béquilles, de faire de ski fauteuil avec elle. Ils l’ont fait, ils ont aimé, ils ont décidé de recommencer cette année.
J’ai fait du ski debout par le passé. J’étais curieux de faire du ski fauteuil. A la fois la version « 100% pilotée par un skieur debout », mais aussi la version « 100% pilotée par le skieur assis » (avec des bâtons spéciaux, comme on voit ici).

J’ai passé quelques jours de congés avec eux cet hiver. C’était prévisible : pour faire du dual ski fauteuil ou du mono ski fauteuil, ça ne s’improvise pas. J’ai discuté avec un moniteur habitué à enseigner le ski fauteuil et à accompagner des skieurs assis. Il évaluait à environ 5 jours de cours la durée nécessaire pour atteindre une petite autonomie en ski fauteuil. De préférence hors des vacances scolaires. Ça s’anticipe bien plus que de prendre un train pour rejoindre des amis. Cette fois ci, j’ai donc juste testé la version « pilotée par un skieur debout ». On verra une autre fois pour la version paralympique !

En ai-je envie ? Poser une semaine de vacances pour partir à la montagne, seul (hors vacances), en janvier, avec ma voiture ? Payer le prix des forfaits, des moniteurs (j’ai le privilège de ne pas payer d’hébergement en l’occurrence !) ? Et si on kiffe, savoir que de toutes façons, c’est un sport de luxe qu’on pratiquera, au mieux, quelques jours par an ?
Il y a des chances que je ne le fasse pas. Et que j’ai des regrets. Il y a des chances que je le fasse. Et que finalement, je sois déçu. Quelle aurait été la bonne solution ?

J’ai bien ma petite idée… J’ai grandi dans une famille de montagnards, assez riches pour nous emmener au ski plusieurs hivers de suite. Pour ma part, des cours particuliers avec un moniteur. Tant de moyens. Pour que je fasse du ski debout. Environ 1h par journée, en raison de la fatigue. Je sais qu’il y avait au moins 1 ski assis (le matériel) dans cette station.
J’aurais aimé qu’on me le propose. Qu’on me propose d’essayer, au moins une fois. Qu’on me propose de prendre des cours pour tester ce matériel que personne dans ma famille ne maitrisait. Qui sait, ça aurait pu me plaire ? Qui sait, j’aurai pu faire 2, 3, 4 heures de ski ? J’aurai pu prendre mon pied ? Avec un peu de pratique, j’aurai pu emprunter les mêmes pistes que mes cousin.e.s, et l’un.e d’entre elleux, ou mon père, ou quelqu’un à cette époque, dans cette branche là de ma famille, aurait pu faire la formation que cet autre proche a fait en 2020 ? Mais tout ça dans les années 2000 ?

Mais comme lui, qui pense spontanément à notre amie en béquille pour faire du ski fauteuil, et qui me voit en ski debout, ma famille dans mon enfance a été pareil. Ils ont vu ce qui était « facile » pour eux, ce qui de leur point de vue était le meilleur.
« Meilleur » à la fois pour des raisons pratiques : le même matériel, les mêmes cours, les mêmes forfaits. Une sorte d’équivalence.
« Meilleur » aussi parce que du point de vue valide, c’est normal de préférer skier debout qu’assis. C’est normal de préférer se déplacer debout qu’assis. Du point de vue valide, debout c’est mieux, tout simplement.  
Les œillères des valides m’ont fermé la porte à certaines opportunités handies. Tout ça parce que je me déplaçais debout sans aides techniques sur le bitume, il devait en aller de même sur la neige. Aujourd’hui, pour moi, ces opportunités restent ouvertes, mais avec un prix (temps, financier, énergie…) bien plus élevé. Et dans un contexte bien plus solitaire.

Est-ce que j’en veux à ces valides qui m’ont élevé ainsi, et qui m’ont permis de faire du ski debout ? Non. Pas à eux personnellement. Est-ce que j’ai des regrets ? Oui. Car des choses que je vais peut-être découvrir et toucher du doigt aujourd’hui, seul, j’aurai pu les découvrir, les expérimenter et les approfondir, il y a bien longtemps. Dans une atmosphère collective. Comme un truc normal, familial, et pas comme une « fantasie d’Alex qui a envie de tester des trucs ».
ça souligne le problème de la représentativité. (Encore lui.) J’ai découvert l’existence du ski fauteuil avec les Jeux Paralympiques de 2010, tout seul sur Youtube. J’avais 17 ans, et le monde autour de moi s’était déjà chargé de me faire croire que pour moi, le ski, ça ne pouvait qu’être debout. Peut être que si j’avais vu dans les médias mainstream les retransmissions des épreuves paralympiques de 2002 à Salt Lake City, de 2006 à Turin… ça m’aurait donné quelques idées. Ou si j’avais vu cette formidable vidéo canadienne pour recruter des athlètes handisports.

On ne m’a pas donné d’exemples d’adultes handis qui vivent leur vie. Un déficit de représentation, et donc mon horizon qui s’étrécit. Ou plutôt : Un horizon qui ne s’élargit pas autant que celui des enfants valides, qui ne peut pas s’élargir au-delà de ma propre imagination. Quelle lourde responsabilité pour un enfant.

Et pourtant. Je suis né en 1992, peu de temps après les jeux olympiques d’Albertville, et ma mère raconte souvent qu’elle les a suivis à la télé, quand elle à arrêté de travailler à la fin de sa grossesse. Les jeux paralympiques d’Albertville, justement, sont les premiers jeux paralympiques d’hiver à se tenir conjointement aux jeux olympiques d’hiver valides. Sur les mêmes installations, quelques jours plus tard.
Si quelqu’un, quelque part, aux programmes de France Télévision, si nous tous, en tant que société, on avait estimé que les épreuves paralympiques valaient une retransmission télévisuelle… cela aurait pu changer les choses pour moi, sur ce point précis. Car ça aurait pu changer les choses dans la tête de ma mère.

Un déficit de représentation pour un.e jeune handi.e, c’est de la difficulté pour se construire. Un déficit de représentation pour les valides qui sont potentiellement des parents/proches de jeunes handi.e.s, ça se traduit par un déficit d’opportunités concrètes pour les jeunes handi.e.s qu’ils et elles vont élever.
A chaque fois que quelqu’un, quelque part sur cette terre, réussit à mettre en scène ou diffuser des représentations handies, cela change littéralement des vies. Et c’est évidemment pour ça qu’on veut de la représentation, partout, tout le temps.

La preuve ? Ce cousin âgé de 30 ans, bon skieur, qui après avoir côtoyé toute son enfance un petit cousin handi et une camarade de classe handie, et qui décide de se former pour accompagner des skieurs assis, pour partager des moments sur les pistes avec nous. Il a grandi avec nous. On existe dans sa vie. Et en réaction, il pose des actes concrets qui ouvent des possibles. Et ça, c’est précieux.

Je ne sais pas si j’aurai l’occasion d’apprendre ou de pratiquer le ski assis à la vingtaine ou à la trentaine. Je n’en veux pas aux individus (ma famille) qui m’ont fait faire du ski debout dans l’enfance de ne m’avoir fait faire que ça. Mais j’aurais aimé qu’ils pensent, ou au moins qu’ils soient en capacité de penser, que d’autres perspectives étaient ouvertes.

  • Parce qu’ils auraient vu d’autres exemples, dans le sport et ailleurs.
  • Parce qu’ils auraient vu la richesse des possibles qui s’offrent à un.e handi.e amphibie. Je ne suis pas un valide au rabais… J’essaye de prendre le meilleur des 2 mondes.
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