Accéder – vraiment – à la pratique

Ce texte pourrait ressembler à une liste un peu déprimante de freins, d’obstacles, de barrières, appelons ça comme on voudra. Mais je suis un sacré optimiste, et aussi un sacré chanceux, puisque ces problèmes d’accès, c’est aussi en les surmontant que j’ai pu les identifier. Et ça se finit par une affirmation joyeuse, presque en déclaration d’amour.

La disponibilité du matériel
Je vais commencer par un truc évident, mais néanmoins bien présent. Le sport handi, ça coûte cher. Parce que le matériel coûte cher. Un fauteuil de rugby, tu tapes dans les 5000 euros facile (et c’est à peu près la même chose pour les autres disciplines). Donc si tu es curieux et que tu veux découvrir un sport, il faut que le club qui t’accueille puisse te prêter du matériel, au moins pour commencer. Et que ce matériel soit en étant de marche, (à peu près) à ta taille, et adapté à ta pathologie.
Même le jour où c’est bon, tu es sûr que c’est le sport qu’il te faut, que ton club est prêt à financer un nouvel équipement, que toi aussi, que vous avez peut être trouvé un sponsor… C’est du matériel sur mesure, donc entre la prise des mesures, la disponibilité des pièces, l’acheminement (bien souvent il y a quelques fabricants dans le monde, donc c’est un peu plus compliqué que d’aller chez Décathlon), et l’ajustement… Tu peux en avoir pour une année avant d’avoir un équipement individuel qui te permette de performer à ton meilleur niveau. (J’ai parlé du stockage du matériel ? De l’entretien et de la maintenance ? Non, pas aujourd’hui, mais enfin on comprend vite que quand on commence à tirer le fil, c’est toute la pelote qui vient…)
Cette histoire de disponibilité du matériel, c’est cela qui conduit à certaines stratégies sportives. Un paralympien français bien connu (il fait partie de l’organisation de Paris 2024 désormais) a commencé par gagner quelques titres en natation, en dépit de ses aspirations pour le basket, pour la simple raison qu’il pouvait aller s’acheter un maillot de bain avant de trouver des sponsors pour financer un fauteuil.

La masse critique
Quand tu fais un sport handi, il y a souvent un problème d’effectifs. A plus forte raison quand tu fais un sport d’équipe. Et cela pose un problème autant pour la pratique amateur / loisir, que pour la pratique de haut niveau. Illustations avec le murderball. La dernière fois que j’ai regardé, il y avait une dizaine d’équipes en France. Dont certains territoires avec tout simplement pas d’équipe : Rien entre Paris et Lille. Rien d’autre à l’est de Paris que la Côte d’or. Dans l’ouest, il n’y a que Nantes.
L’équipe de côte d’or, elle a été créée de toutes pièces par un joueur de l’équipe de France. Car quand il a commencé à s’intéresser au rugby fauteuil, l’équipe la plus proche, c’était Clermont Ferrand. Pratique. Et s’il a pu créer son équipe, qui permet désormais à tout un collectif de jouer, certains en compétition et d’autres en loisir, c’est parce qu’il a pu avoir une communauté, un environnement, et bien sûr sa motivation (pour finir par représenter ton pays aux Paralympiques, je crois que ça compte quand même). Mais est-ce vraiment normal que la seule équipe de tout le quart Nord-Est de la France n’existe que par la pugnacité incroyable d’un adolescent (à l’époque) et de son entourage ? Le problème en handisport, c’est que qu’à peu près toutes les équipes, ou sections, ont une histoire des origines assez semblable. En France, la première équipe de murderball a été créée à Toulouse. Quand l’un des joueurs (qui lui aussi a représenté la France à l’international à plusieurs reprises) a déménagé dans la région de Nantes… Il a créé la deuxième équipe. Et ainsi de suite. C’est cette histoire qui se répète sans cesse.
Avant que je ne joue avec ma toute première équipe en Allemagne, le paralympien parisien que j’ai cité plus haut, désormais actif dans le rugby après une carrière de nageur puis de basketteur, m’avait dit, pas vraiment pour rigoler, « tu n’as qu’à créer une équipe à Strasbourg, d’ailleurs je connais un gars à Mulhouse ». (NB : C’est à 120 kilomètres).
Autant, j’étais prêt à m’investir dans un sport, autant, je n’étais pas prêt à créer une équipe de toutes pièces. Trouver des joueurs, trouver des fonds, trouver des locaux, trouver du matériel, trouver un coach… A l’époque, je connaissais à peine les règles du jeu. Donc la masse critique, afin que les (potentiels) sportifs et sportives handi.e.s, en loisir ou à haut niveau, puissent choisir une discipline en fonction de leurs goûts, et pas seulement en fonction de l’offre disponible dans leur bassin de vie.
Mais cette question de masse critique, elle se pose aussi à haut niveau. Et là, je vais illustrer avec mon expérience irlandaise.
Spoiler alert : l’Irlande est une île. On y accède donc par avion, ou par bateau (ça met 17h pour rallier Cherbourg). Il y a 4 équipes actives en Irlande : Dublin, Cork, Laois, et Belfast. Donc 4 week ends de championnat dans l’année. Si on est généreux, une trentaine de joueur.euse.s régulier.e.s. Si tu es un joueur.euse irlandais.e avec des prétentions (inter)nationales, tu joues donc 4 fois dans l’année, toujours contre les mêmes personnes.  Or c’est assez simple de comprendre que pour monter en niveau, il est important d’avoir des opportunités de jeu régulières, et contre des adversaires variés. Du coup c’est le serpent qui se mord la queue.
A titre de comparaison, en Allemagne, il y a une nationale 1, une nationale 2, et 3 ou 4 ligues régionales, qui sont autant d’opportunités de jeu. Sans compter qu’il est bien plus aisé de se rendre en France, en Suisse, au Luxembourg, en Pologne, en Belgique, en Italie, ou environ n’importe où sur le continent européen, depuis l’Allemagne que depuis l’Irlande. On en arrive donc à un deuxième obstacle.

La mobilité et les opportunités de jeu (inter)nationales
On reste sur l’équipe d’Irlande, qui par sa petite taille et son insularité, montre bien ces problèmes d’une façon aigue.
Pour souligner la dèche des Irlandais.e.s : ils sont jaloux des Britanniques, qui en dépit de leur propre insularité, peuvent facilement atteindre le continent européen avec leurs voitures via le tunnel sous la manche. (Aussi, ils sont plus nombreux, et ont un championnat un peu plus étoffé, mais c’est une autre histoire).
Mais en fait, pourquoi j’insiste autant sur la possibilité d’une traversée en voiture ? Parce que c’est en fait le seul moyen satisfaisant de voyager loin / longtemps en tant qu’(athlète) handi. On va commencer par ce qui est évident. Dans la plupart des villes et pays, les cars ou trains interrégions et les transports urbains sont inaccessibles ou incomplètement accessibles en fauteuil roulant. Idem pour les taxis et autres VTC. A plus forte raison si tu transportes tu matériel. (Un fauteuil de sport, des roues de rechange, sans compter ton fauteuil du quotidien et tes bagages normaux). Genre super, tu as réussi (on verra que non, mais imagine) à atterrir à Roissy sans trop de problèmes, mais tu n’arriveras jamais à atteindre le village Paralympique. Ça commence bien.
Voler avec un fauteuil. On a surtout des témoignages des Etats Unis, en raison des dimensions du pays et car l’avion y est bien plus développé que le train. Mais pour faire simple : Les compagnies aériennes, quand elles laissent des passagers en fauteuil embarquer, sont championnes pour casser les fauteuils, humilier les voyageurs, les oublier (coucou l’aéroport Charles de Gaulle !) et autres joyeusetés. Donc de base, voyager tout seul avec juste ton propre fauteuil et un petit sac à dos, c’est la mission. Mais alors voyager en équipe, et avec des fauteuils de sport…
Dans un vol Aer Lingus, la compagnie qui relie l’Irlande au continent, il peut y avoir maximum 4 fauteuils dans une soute. Elles ne sont pas conçues pour en recevoir plus. Ce qui fait donc 2 joueurs par vol. Pratique, pour une équipe de 8 à 12 joueurs et le staff. Surtout s’il y a un ou deux vols par jour pour ta destination. Pratique, pour des joueurs qui ont besoin d’assistance humaine pendant le voyage.
Conclusion, les joueurs irlandais restent surtout chez eux, et ne reçoivent pas grand monde, parce que c’est terriblement compliqué de voyager dans de bonnes conditions.

L’existence de clubs, de sections
J’en ai parlé un peu en abordant la question de la masse critique et de l’existence d’équipes. Certaines, pour bénéficier de moyens matériels et humains, s’associent d’ailleurs à des équipes valides, et forment donc des sections handies. Mais les choses sont peut être un peu plus simples pour les sports individuels, non ?
Oui et non.
Pratiquer en individuel, en loisir, en « intégration » avec des sportifs et sportives valides, c’est possible dans beaucoup de cas, pour beaucoup de disciplines. C’est ce que j’ai fait en arts martiaux, en tennis de table, en escrime, c’est ce que font énormément de personnes handicapées dans énormément de disciplines. Et heureusement que ça marche un peu, quand même.
(Spoiler alert : ça marche mieux si tu te déplaces debout. Ne serait-ce que pour accéder à certaines infrastructures ou lieux de pratique, ou tout simplement utiliser les transports en communs pour t’y rendre.)
Mais selon tes envies et tes besoins, ça peut devenir un peu plus compliqué. Voir tourner à l’absurde.
Par exemple, quand je fais de l’escrime depuis 1 an, que je n’ai tiré qu’à à l’épée, debout face à des adversaires debout, et que mon maître d’armes me propose de participer à une compétition handisport. Sauf qu’il faut tirer au fleuret (je n’ai jamais tiré au fleuret) et que c’est en fauteuil (je n’ai jamais tiré assis). J’ai pris cet exemple précis, mais il y en a beaucoup d’autres. C’est systémique. Les clubs valides ne sont globalement pas conçus pour accueillir des participant.e.s handi.e.s. Alors on bricole, et il y a beaucoup de gens de bonne volonté. Mais globalement, ça n’est pas très efficace.

Une pédagogie où tu existes
Une fois qu’on a trouvé une discipline, un club, du matériel, des crénaux horaires, des coéquipiers, des lieux de pratique accessibles… ouf ! Ce sont des choses indispensables. Mais sont elles suffisantes ?
Il faut un.e coach. Quelqu’un qui va t’apprendre ta discipline, et éventuellement les épreuves associées (par exemple, tirer au fleuret assis ?). Quelqu’un qui va pouvoir faire travailler la stratégie, notamment en équipe, pour que le collectif créé des automatismes.
Dans les cas « d’intégration » notamment (ça y est, on va savoir pourquoi j’y mets systématiquement des guillemets) quelqu’un qui propose des exercices que tu peux faire, ou des adaptations. C’est tout un spectre qui va d’un extrême à l’autre. Ça peut être changer la hauteur d’une cible pour que tu puisses l’atteindre, et la consigne reste la même. Ça peut être de mettre en place, en concertation avec des instances fédérales, un autre barême pour que tu puisses un jour passer une ceinture noire. Ça n’a pas eu lieu car j’ai arrêté le taekwondo avant, mais on en avait parlé avec mon coach, et c’était pour moi la plus belle façon de reconnaitre ma légitimité dans le dojo.
Dans le cas « d’intégration » le ou la coach peut aussi être pas formé ou mal à l’aise, ne pas savoir comment s’y prendre avec un corps non normatif. Des personnes qui ne savent pas proposer d’alternatives, de voies différentes. Des personnes de bonnes volonté, donc, mais pas forcément outillées pour t’accompagner dans ta pratique. Dans leur schéma, il n’y a qu’une seule façon de faire un exercice, ou qu’une seule trajectoire pour progresser. Et tu te retrouves là, adolescent, dans une discipline que tu ne connais pas ou mal, et la personne qui est censée te guider dans ton apprentissage, ne te donne aucunes clés, voir même te demande ton avis. Débrouille toi. Tu es jeune, débutant, tu ne connais pas forcément l’objectif de l’exercice en cours, et tu dois toi-même, tout seul, trouver des chemins de traverse. Comment dire.
Pas sûr que ce soit la méthode la plus appropriée pour progresser dans une discipline. Ou pour avoir confiance en soi et en ses propres capacités physiques. (Par contre, ça fait beaucoup progresser en pédagogie, et aussi en anatomie). Surtout, il y a beaucoup de personnes pour qui c’est littéralement impossible. Et même quand c’est possible, c’est épuisant. C’est pas très efficace non plus. Et aussi, c’est pas très fun. Je n’ai pas des ambitions sportives très hautes, je ne suis pas féru de compétion. Quand je viens faire du sport, c’est pour prendre du plaisir. Pas pour une énième prise de tête, une énième confrontation aux absurdités validistes de la société.

D’un coup, arriver dans un sport en non-mixité, c’est comme une bouffée d’oxygène : Cette discipline a été pensée pour moi, et pour les gens comme moi ! Je ne me retrouve pas à devoir moi-même, tout seul, sans connaissances, ré-inventer des exercices dès l’échauffement. Je peux suivre le groupe sans réfléchir et me poser 1000 questions. C’est agréable, c’est reposant.
L’autre avantage du sport en non mixité, outre que la discipline elle-même et les entrainements soient adaptés, c’est qu’en général, les personnes qui y participent ou l’encadrent ont un minium de connaissances concernant le handicap. (Même si dès fois, on est surpris.)
ça ne veut pas dire que tout est parfait, que les consignes seront toujours adaptées, que les objectifs de progression seront toujours clairs… Mais ça enlève quand même une grosse partie des obstacles élémentaires auxquels on avait fini par s’habituer.

Alors maintenant, on en est où ? Après quelques errances, j’ai trouvé avec l’athlétisme une discipline qui me plait. A un endroit atteignable. Où je peux utiliser de l’équipement à ma taille. Et surtout, j’ai trouvé des gens qui prennent à coeur leur mission de me proposer des clés pour progresser, de ne pas me laisser sans consigne ou sans adaptation. Et ces personnes là sont qualifiées. Non seulement elles font les choses bien, mais savent pourquoi elles les font, et peuvent me l’expliquer clairement.
Pendant le deuxième confinement, j’ai pu goûter à « l’entrainement en facetime ». Sans surprise, c’est beaucoup moins fun que l’entrainement en conditions normales. Mais honnêtement, je ne pensais jamais trouver des gens avec qui ça marche, pour moi, de faire des entrainements à distance. La compétence, ça ne s’improvise pas.
Depuis que j’ai trouvé l’athlé, au delà du fun et des ampoules aux doigts, j’ai surtout trouvé une un endroit et des personnes avec qui le validisme reste au vestiaire. C’est précieux. Et je ne suis pas prêt de les lâcher.

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