Pourquoi je ne serai pas classifié en athlétisme

Puisque décidément on ne se lasse pas de parler de classification, retour rapide sur les épisodes précédents :
Ici, je parle des classifications avec un certain enthousiasme, dans la mesure où c’est un nouveau langage, où c’est un processus opérant pour jouer ensemble ;
Ici je parle du problème du poids du corps médical dans les classifications, et je remets en question la légitimité des classificateurs et de leurs grilles.
Aujourd’hui, on va pousser la critique un cran plus loin.

J’ai déja écrit qu’il y avait toujours un biais validiste à mon égard (et pas qu’au mien) par rapport à mes expériences de classification dans les différentes disciplines : parce que je marche, parce que je suis amphibie, on me considère à première vue comme « plus valide » / « moins handi » que je ne le suis réellement, au point de remettre en cause ma classification, (basket) voir mon éligibilité (murderball).
Bref, on remet une pièce dans la machine pour l’athlétisme. Il y a un doute sur ma classification. Ah lala, ces amphibies, mais qu’est ce qu’on va bien pouvoir en faire ?

Aux yeux de ma coach (qui est expérimentée mais qui n’est pas classificatrice), je devrais participer aux compétitions de la catégorie T35.

oui, ce sont des athlètes qui courent debout.
Donc dans cette question de mon appartenance à la catégorie T34 ou T35, c’est en fait la question de mon éligibilité à la course en fauteuil en compétition qui est posée.

Alors, ça tombe plutôt bien que je n’ai pas de velléités de haut niveau. Faire 20h de route en un week end pour sursauter au coup de feu et faire un faux départ, ou en étant optimiste, faire une course en 30 secondes et poireauter ensuite pendant 2 jours, ça ne m’exalte pas. Je préfère consacrer mon temps libre à d’autres choses.

Mais quand même, quelque chose me chiffonne. D’être ainsi catalogué par des gens qui ne m’ont parfois pas vu (je n’ai jamais rencontré de classificateurice en athlétisme), et selon une grille d’évaluation qui reste mystérieuse.
Un instant, mon sens aigu de la justice me pousse à protester ; pour la forme. Pour me faire reconnaitre comme éligible à la course en compétition, parce que je suis convaincu que je suis éligible (mais peut être bien que je me berce d’illusions). Même sans aller en compétition derrière… Ne serait-ce que parce que mes performances sont insuffisantes. Je digresse un peu, mais ça prouve quand même qu’il y a un truc bizarre au niveau des critères de classifications, si je ne suis pas éligible car « pas assez handi » et qu’en même temps je suis trop lent pour être qualifié. Est ce que ça veut dire que je suis « trop valide » mais mauvais ? Et si, finalement, j’étais « assez handi » ? (Quand à mes performances, je me contenterai pudiquement de « débutant »). Je n’ai pas la réponse tranchée, mais ça me paraît un tantinet plus nuancé que « tu marches trop bien pour concourir en fauteuil ».
Et je ne peux m’empêcher de vous repartager cette formidable vidéo de la fédération handisport canadienne.

Quand à mon sens de la justice… Mon but serait d’être reconnu par qui ? Pour quoi ? Selon quels critères ? J’en ai déja parlé, les grilles de classifications sont âprement débattues, souvent remises en cause, dans toutes les disciplines handisport.
Et puis, j’ai appris comment se passait un contrôle anti-dopage, via mon camarade qui participait aux championnats de France. Le contrôleur te suit à la trace partout pendant trois heures, afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’échange de flacons d’urine. (Visiblement, il y a eu des précédents). Donc il te regarde pisser. Littéralement.
LOL. Je suis trans. J’ai un passing cis complet, mais si quelqu’un vient m’observer dans les toilettes,  je serai bien obligé de dire que je suis trans. Et la place des personnes trans dans le sport, ou pour toutes les personnes qui dévient un tant soit peu des critères stricts de la masculinité (respectivement féminité) cisgenre, hétérosexuelle, blanche, c’est bien souvent… hors des compétitions, ou au prix d’âpres recours, contestations, humiliations.

Alors, ai-je vraiment envie de lutter, d’argumenter, de justifier ma légitimité à concourir, en tant qu’homme d’abord, et en fauteuil roulant en T34 après ?
Ai-je vraiment envie d’obtenir une autorisation à concourir d’une instance qui exclut Caster Semenya, Dutee Chand, Beatrice Masilingi, Christine Mboma, Francine Nyonsaba, Margaret Wambui, et tant d’autres ?

A choisir, j’aimerai encore mieux oeuvrer pour l’ajout d’épreuves handisport aux Gay Games. (Et même ça, je ne pense pas que je vais le faire).
En attendant (LOL) un monde sportif défait de son racisme, de son sexisme, de sa transphobie, de son intersexophobie, et de son validisme… Je ne suis pas classifié en athlétisme.
Mais c’est pas grave, parce que j’ai du plaisir à rouler, même si ça n’est pas le plus vite du monde.

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