Thanks for the warm up !

(Il faut lire jusqu’à la fin pour comprendre le titre)

C’est un débat récurent au sujet des Jeux Paralympiques : vaut-il mieux des jeux séparés (comme actuellement, Jeux Olympiques puis Jeux Paralympiques), ou des Jeux combinés ?
Il y a des gens qui y pensent régulièrement, et d’autres qui y pensent une fois tout les 4 ans, pendant environ 15 jours, entre la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques, et la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques.

La démesure qu’ont pris les Jeux Olympiques et Paralympiques au cours du 20e siècle fait que c’est surtout une question rhétorique : des Jeux combinés seraient démesurés (encore plus que les Jeux dans leur format actuel, qui sont déja démesurés à bien des égards).
Alors, c’est une question rhétorique, certes, mais qu’est ce qu’on peut en dire ?
J’ai un avis personnel, (qui vaut ce qu’il vaut, puisque je ne suis ni un athlète, ni représentant d’une fédération, ni organisateur d’événements, ni journaliste sportif…) et je vais essayer de l’expliquer.

L’unique avantage qu’auraient, d’après moi, des Jeux combinés, ça serait d’éviter les situations comme celles de Rio 2016, où le comité organisateur à sérieusement considéré d’annuler les Jeux Paralympiques (qui se déroulent donc quinze jours après jeux Jeux Olympiques) parce qu’ils avaient claqué en 2 semaines le budget prévu pour 4 semaines.
Autrement, je reste un ardent défenseur de Jeux Paralympiques séparés, qui se tiennent après les Jeux Olympiques.

D’un point de vue personnel, dans ma recherche (quelque fois chimérique) d’un évènement de culture handie, des Jeux séparés sont naturellement préférables.
Les Jeux Paralympiques sont le plus gros événement de culture handie au monde. ça n’empêche pas d’en faire la critique (comme ma chouchou Danielle Peers, elle-même ex-paralympienne canadienne et désormais chercheuse en sciences sociales), mais les faits sont ce qu’ils sont.
A côté, les Deaflympics, les Special Olympics, les para-panamerican games (pour rester sur des événements multisports) semblent bien dérisoires.

Un verre d’eau dans l’océan

Mais les Jeux Paralympiques, bien qu’ils soient le deuxième plus grand événément sportif mondial a côté des Jeux Validlympiques, (qui occupent respectivement la première place) c’est un verre d’eau dans l’océan.
Sur le village Olympique, dans les stades, dans les médias : notre dissolution.
J’ai lu un récit de paralympien.ne une fois (déso, je n’ai pas retrouvé la source) sur l’ambiance tout à fait spéciale du village Paralympique : tous les pays, toutes les disciplines, tous les handicaps, ensemble. (J’ajoute : dans une forme de non-mixité choisie).
Des jeux combinés, c’est la garantie de ne pas voir nos épreuves diffusées, et/ou mises en concurrence avec des épreuves valides en parallèle. (Un article de 2011 de Peter White, un journaliste aveugle du Guardian, ne dit pas autre chose)
Des Jeux combinés, c’est aussi la porte ouverte à des épreuves mixtes, et aux comparaisons qui encourageraient à voir nos sports comme des dérivés de sports valides, des sous-sports.
Des jeux combinés, c’est une occasion de créer des inégalités entre les disciplines Paralympiques qui ont des équivalents Validlympiques (Basket, Volley, Natation, Tennis de table, Taekwondo, Athlétisme, Tir, Équitation…) et celles qui n’en ont pas (Torball, Rugby fauteuil, Boccia…). Au détriment desquels ? Je crois que la question, elle est vite répondue.

Là où les Jeux Paralympiques sont pour moi une célébration. De nos sports, de nos vies. Dans leur plein déploiement, et non pas en regard des normes valides. Nous avons nos porte-drapeaux, notre cérémonie d’ouverture, notre cérémonie de clôture.
Nous avons aussi nos scandales de dopage, nos règles iniques, (du genre qui interdit à une nageuse sourde et aveugle, tenante du titre paralympique, de voyager avec son assistante pour Tokyo 2020 – elle s’est retirée de la compétition en protestation) notre greenwashing, nos inégalités salariales, notre capitalisme prédateur. Peut-être bientôt notre comité anti-paralympique ?

Public de masse et public de niche

Certain.e.s me parleront, et à raison, de l’exposition médiatique. Effectivement, on ne peut pas comparer le battage médiatique des Jeux Olympiques de celui des Jeux Paralympiques. Pour autant cet argument manque pour moi de longueur de vue :

  • Il n’y a que 24h dans une journée, et déja un grand, grand, nombre d’épreuves simultanées lors des Jeux. Je suis sûr qu’on peut trouver des personnes férues de lancer de disque, frustrées que le concours de disque soit interrompu par d’autres épreuves d’athlétisme en parallèle… Voir d’autres épreuves d’autres disciplines, tout court.
  • C’est désormais extrêmement facile de voir l’ensemble des épreuves paralympiques sur Youtube : La chaine Paralympics Games est en ligne depuis 2008. Je l’ai découverte lors des Jeux Paralympiques de Vancouver, en 2010, et je ne l’ai pas lâchée depuis. De la même manière que les fans de football s’abonnent à BeIn Sports, de la même manière que les aficionados du basket se réveillent la nuit pendant les play offs pour suivre la NBA… Nous avons aujourd’hui accès aux épreuves que nous voulons voir, avec des prises de vue professionnelles.
    Même l’Equipe s’est fendu d’un tweet pour annoncer qu’ils couvriraient ces jeux. (Entre 2000 tweets consacrés à l’arrivée de Messi à Paris, et avec une image d’illustration non décrite, mais cela ne fait qu’illustrer ce que je décris dans cet article)
  • L’exposition médiatique, c’est avant tout un choix politique : cf la « Une » de l’Equipe, qui le 9 août 2021 encore, titrait sur le football alors même que plusieurs équipes françaises avaient gagné des titres Olympiques le jour même : Handball féminin et masculin, Volley masculin.
  • Je ne crois pas un seul instant (mais vraiment pas un seul) que de diffuser les Jeux Paralympiques ait une quelconque vertu dans l’intégration des personnes handicapées dans la société, ou plus généralement, le moindre impact sur notre société validiste. Diffuser les Paralympiques, ça ne change pas la vie des personnes handicapées. A la limite de la limite, ça participe à la représentation de la diversité. Mais diffuser les Paralympiques, que ce soit sur les chaînes du service public, sur Euronews, à parité avec les Jeux Olympiques… ça n’est pas ça l’enjeu. Sans autre prise de position, sans projet politique global et constant, diffuser du rugby fauteuil est à peu près aussi militant que de diffuser du cricket.
  • Le baromètre de la diversité du CSA indique 0,6% de personnes handicapées représentées dans les programmes, pour une population qui représente 15% à 20% de la nation. Si en 2021, après, les Jeux, on passe à 2% de représentation, mais dont 1,4% seraient des athlètes de haut niveau en train d’accomplir des exploits, accompagnés de voix off dégoulinantes sur « le courage », « l’exemplarité » ou autres « inspiration »… Est ce que ça serait vraiment un progrès ? L’éternel question entre la mesure quantitative (des chiffres, qui ne sont pas bons) et la mesure qualitative (des intervenant.e.s et personnages variés, des situations complexe, une multitude de sujets abordés…) de la diversité ne sera pas résolue en diffusant 100% des épreuves des Jeux Paralympiques sur France 2.
  • Il existe d’autres occasions de voir des parasports que lors des Paralympiques : tous les ans, des championnats du monde, des championnats d’Europe / d’Amérique / d’Asie, féminins, masculins, mixtes, de disciplines handisport variées. Juste une question aux personnes valides qui ne s’intéressent aux parasports qu’une semaine tous les 4 ans, et qui montent sur leurs grands chevaux pour réclamer à corps et à cri une diffusion intégrale des Jeux Paralympiques : Où êtes vous tous les ans, lors de Roland Garros ?

Si les chaines de télé n’ont pas envie de diffuser les Paralympiques, elles ne le feront pas plus dans le cadre de Jeux combinés. Idem pour les unes de l’Equipe. Et surtout (et ça va ensemble) si le public ne veut pas regarder les Jeux Paralympiques, changer leurs dates ne changera pas l’audimat. Ce n’est pas non plus une question de moyens : les Jeux Paralympiques sont un événement bien plus gros que la coupe du monde de football masculin, que l’euro de football masculin, et pourtant. On parle médiatiquement plus souvent de la ligue 1 de football masculin que des Paralympiques.
On parle aussi bien plus souvent de l’euro de football masculin que de la coupe du monde de football féminin. Est ce que pour autant, on devrait jouer les deux en même temps, pour assurer une meilleure visibilité aux équipes féminines ?
Tant qu’on y est, pourquoi ne pas jouer la coupe du monde de volley en même temps que Roland Garros ? Est ce que ça ne donnerait pas un peu de visibilité aux joueureuses ?

Voilà, au dela des éléments factuels, la raison pour laquelle je préfère des Jeux séparés : car il s’agit bien des Jeux Paralympiques, et non pas d’un événement à l’intérieur des Jeux Olympiques.
Je ne sais pas quel est le sens de l’histoire : les Jeux Paralympiques ont officiellement commencé en 1960. Cela ne fait que depuis 1988 qu’il se déroulent dans la même ville que les Jeux Olympiques. Certaines voix expriment un souhait de voir d’avantage de convergence. La voulons nous ?

Regardons du coté des Deaflympics (Jeux Olympiques Sourds). Une compétition complètement invisible, ignorée du grand public. C’est pourtant la deuxième compétition multisports la plus ancienne au monde : les premiers Deaflympics se sont tenus en 1924, en même temps que les Jeux Olympiques de Paris. Puis les fédérations sportives sourdes ont fait le choix de décaler d’un an leurs Jeux, justement afin de les déconnecter des Jeux Olympiques. Je ne sais pas quelles étaient les intentions du mouvement sportif sourd à cette époque. Toujours est-il qu’aujourd’hui, les Deaflympics se déroulent tous les 4 ans, un an après les Jeux Olympiques et Paralympiques. Dans une autre ville, d’un autre pays. Les médaillés des Deaflympics ne reçoivent pas de primes, à l’inverse des médaillé.e.s Olympiques et Paralympiques. Ils et elles ne passent pas à la télé. Il y a aussi une chaine Youtube mais je n’en connaissais pas l’existence avant aujourd’hui, je serai donc bien en peine de dire quelles sont les épreuves qu’elle diffuse. Je ne pense pas non plus que les participant.e.s des Deaflympics soient des athlètes professionnels. Dans cette perspective là, les fédérations sportives sourdes sont restées fidèles à l’esprit initial des Jeux Olympiques modernes…

Les Jeux Olympiques modernes, c’est le bébé de Coubertin, à l’aube du 20e siècle. Plus vite, plus haut, plus fort. Enfin surtout pour les hommes blancs. Tellement en phase avec le sexisme de l’époque, le racisme et le colonialisme de l’époque, le capitalisme de l’époque. Depuis, le Comité International Olympique a su évoluer avec son temps. Et en dépit de la charte du baron, qui interdit toutes manifestations politiques dans le cadre des Jeux… Chaque nation, athlète, comités et fédérations nationales, s’en sont données à cœur joie. Faut dire, le 20è siècle était fait pour ça.
Si vous avez la curiosité, la page « boycotts, scandales et controverses olympiques » de Wikipédia est passionnante.
Une première guerre mondiale, une deuxième guerre mondiale, des Jeux organisés par les nazis. Après chaque guerre, les perdants et leurs alliés ne sont pas invités aux Jeux. Mais à part ça, pas de politique dans les Jeux. Déja ça commence bien. (Si on met de côté l’exclusion des femmes, l’interdiction faite à certains athlètes de défiler avec leur drapeau – l’Irlande et Taiwan notamment).
Après la seconde guerre mondiale, pendant les 30 glorieuses, pendant la guerre froide, ça envoie. Je ne vais pas citer toute la page wiki (allez vraiment la lire !) mais enfin, dès les années 50, divers pays utilisent le boycott comme moyen de protestation en réaction à des crises politiques et diplomatiques : guerres, invasions, représailles… Quand ce n’est pas le Comité Olympique lui-même qui exclut les délégations qui ont eut l’outrecuidance de participer à des compétitions sportives alternatives – notamment des pays associés au bloc communiste.
Passer sous silence un massacre à Mexico 10 jours avant l’ouverture des jeux, ça aussi, ça envoie une bon feeling « apolitique, c’est à dire de droite » non ?
Les jeux Paralympiques ne sont pas en reste. En 1976 à Montréal, 8 délégations africaines et communistes boycottent les Paralympiques, car l’Afrique du Sud, qui pratique l’apartheid, est invitée à concourir. Cela fait depuis 1964 qu’ils sont exclus des jeux Olympiques (suite à des boycotts similaires des athlètes valides) mais oups, pour les Paralympiques on avait oublié.

Outre les boycotts, les attentats et les exclusions, le CIO change aussi son fusil d’épaule sur pas mal de sujet aux cours des années 1980 : d’abord en autorisant les athlètes professionnels à concourir (alors qu’au début du siècle… Certain.e.s se sont fait exclure car suspectés d’avoir été des professionnels non déclarés). Puis en permettant le financement privé des Jeux. La piscine Olympique de Los Angeles 1984 a été financé par McDo, mais ce n’est absolument pas politique…

Du passé…

Peut être que le débat « Jeux Olympiques et Paralympiques combinés ou séparés ? » est une question du 20e siècle.
A l’heure où chaque Olympiade de ce siècle a entraîné expropriations, artificialisations des sols, explosion des coûts pour les collectivités. Nationalisation des pertes, privatisation des profits. Ça sonne très 20e siècle à mon goût. Plutôt vieillot.
A l’heure où la Californie brûle (Los Angeles 2028), où l’Australie brûle (Brisbane 2032), où la Grèce brûle, où l’Italie brûle (Milan 2026), à l’heure où les glaciers fondent et où la Sibérie brûle, à l’heure des pandémies.
A l’heure où le métro de Paris (ni environ aucune infrastructure d’ailleurs) ne sera accessible aux personnes handicapées (il y avait eu une loi en 2005, pourtant…) et aux athlètes Paralympiques de 2024.
A l’heure où des pays hôtes des Jeux se font condamner à l’échelle internationale, qui pour son non-respect des droits humains (coucou la Chine), qui pour son non-respect de la convention pour les droits des personnes handicapées (Ici c’est Paris).

C’est bien, en 2021, d’avoir une délégation qui représente les personnes réfugiées. A quand l’équipe des réfugiés climatiques ? Ça serait bien, aussi, de protéger les athlètes qui n’étaient pas encore des réfugiées avant le début des Jeux, mais ont dû le devenir avant la fin, parce qu’aux Jeux on ne fait pas de politique, on ne critique pas le comité Olympique biélorusse impunément.

Que fait on, aujourd’hui, des athlètes qui dénoncent leurs conditions de pratique, et la longueur des vêtements qu’elles doivent porter ? Que fait ont des athlètes qui reçoivent une critique internationale parce qu’elles décident de donner la priorité à leur santé mentale plutôt qu’à leurs performances ? Que fait-on des athlètes accusés d’agression sexuelles par une partie de leur délégation, au point qu’on les envoie dormir hors du village Olympique ? Que fait ont, de l’interdiction des prises de paroles politiques des athlètes ? Les Jeux, c’est Miss France, en fait ? Alors même que « la Russie » est obligée de concourir sous la bannière du « Comité Olympique Russe » ce qui ressemble furieusement à… Une décision politique ? Que fait-on, des tests de féminités infligés aux sportives quand elles sont noires, et quand elles sont trop performantes ? Que fait on pour l’égalité salariale ? Que fait-on pour les athlètes trans aux Jeux, et plus largement dans le sport ? Que fait-on, pour les disciplines sportives qui sont un coup ajoutées, un coup retirées, du programme Olympique (en fonction des pouvoirs d’influence au CIO des uns et des autres, et pas du tout pour des motifs politiques) ?
Qu’y a-t-il écrit, dans le cahier des charges des villes hôtes, pour que Rio ait pu trouver réaliste d’annoncer ne pas faire les Paralympiques en 2016 ?
Que fait-on du greenwashing qui consiste à faire passer la torche Olympique par Fukushima, parce que bon, 10 ans après c’est vrai que tout va bien ? « Plus vite, plus haut, plus fort », est ce que ça a encore un sens, à l’heure où Jeff Bezos allonge les millions pour une virée dans l’espace ?

On fait quoi du racisme, de l’homophobie, de la transphobie, du sexisme, du validisme, dans le sport Olympique et Paralympique, qu’il soit amateur ou professionnel, parmi les joueureuses ou parmi les instances ?
Voici (quelques unes) des questions qui devraient nous animer, quand on parle de Jeux Olympiques et Paralympiques.

« Thanks for the warm up » (« Merci pour l’échauffement ») c’était le slogan -que j’adore- de Channel 4 en 2012, après la clôture des Jeux Olympiques de Londres, pour annoncer les Jeux Paralympiques.
Mais à Tokyo, en 2021, c’est aussi un slogan qui s’applique pour nous, français, dans la perspective de Paris 2024.
Thanks for the global warming ?

texte blanc sur fond noir : Thanks for the warm up

Les Jeux Olympiques et Paralympiques sont deux événements sportifs séparés, oui. Mais sur le plan culturel, marketing, écologique, et tout ce qu’on veut, ils sont déja très proches.
La question du 21e siècle, ça pourrait être : De quels Jeux voulons nous ? De quel sport voulons nous ?
Une fois de plus, je n’ai pas la réponse, mais je nous invite collectivement à aller regarder comment cela se passe ailleurs.
On peut lire par exemple ce qu’écris Danielle Peers sur l’intégration des athlètes valides en basket fauteuil.
Ou alors, on pourrait peut-être à s’inspirer d’avantage des Deaflympics, pour revenir avec plus de sincérité à la célébration du sport qu’à celle du dollar… En tout cas, ça vaut le coup d’y réfléchir, non ?

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