La politique s’invite sur les parquets – institutionnalisation du sport handi ?

Je reviens des championnats d’Europe de rugby fauteuil. Dès en amont, j’ai pu y observer quelques éléments qui me faisaient dire : pour le meilleur et pour le pire, le sport handi s’institutionnalise et devient de plus en plus mainstream. Je pensais que cette observation s’appuierait sur un argument central lié à la communication autour de l’événement et ses différents canaux et la monétisation des billets d’entrée.

Et finalement, ce point marketing restera vraiment secondaire.
Car c’est la politique qui s’immisce au cœur du sport. Ce qui n’est après tout pas si étonnant, après les Jeux Olympiques d’hiver qui viennent de s’achever, et qui ont été rudement décriés sur le plan écologique. En amont d’une coupe du monde de football masculin au Qatar cet été, qui elle aussi a été, est encore, largement décriée tant au niveau des droits humains que pour des raisons environnementales.

N’est ce pas ça aussi, l’institutionnalisation des sports handis ? En sortant (relativement) de leur confidentialité, voila que nos événements aussi se retrouvent traversés par toutes les tensions (géo)politiques, économiques, écologiques, qui secouent la société dans son ensemble.
 
Pour redonner un brin de contexte : les championnats d’Europe se déroulaient du 22 au 26 février 2022 (report d’un événement initialement prévu en 2021), à Paris. C’est un événement qualificatif pour les championnats du Monde prévus cet automne au Danemark.
Le championnat voyait s’opposer 8 nations européennes.
Poule 1 : France, Danemark, Russie, Suisse.
Poule 2 : Grande-Bretagne, Allemagne, Pays Bas, Pologne.

Les championnats d’Europe de division B, qui ont permis d’attribuer les 3 dernières places pour ce championnat, se sont déroulés en juin 2021 a Varsovie, et ont permis la qualification de la Suisse, la Pologne, et la Russie.

Les championnats d’Europe 2022 (Division A) commencent donc le mardi 22 février à Paris.
Dans la nuit du mercredi 23 au jeudi 24 février, la Russie envahit de nouveaux territoires en Ukraine.
Le Jeudi 24 février, la France joue son dernier match de poule, face à l’équipe de Russie. Cette victoire permet aux Bleus de prendre la tête de leur poule.
Le vendredi 25 février, le premier match de la journée oppose le 3e de la poule 1 contre le 4e de la poule 2 : Suite aux résultats des jours précédents, le match doit opposer la Russie à la Pologne.
La veille au soir, la fédération polonaise de rugby fauteuil publie le communiqué suivant :

[Official statement of the board – Polish Wheelchair rugby federation
Wheelchair rugby team of Poland decided not to play in the game G13 POL vs RUS on 25th of February 2022 during the European championship in Paris, due to the extremeliy complicated situation related to the current crisis in Ukraine]

Dans la foulée, la fédération internationale de rugby publie cette annonce sur ses réseaux :

[It is most unfortunate that Poland has withdrawn from the game against Russia on February 25 2022 due to the complicated situation related to the ongoing events in Ukraine. As a result, Russia have been awarded a 1-0 victory in accordance with WWR international rules]

D’autres fédérations, clubs, instances sportives, nationales et internationales, se sont positionnées depuis. (Et j’ai tout à fait conscience du caractère hautement périssable des informations de cet article – que j’écris le 1er mars 2022).

La principale différence, entre les événements cités dans cet article et les championnats d’Europe de rugby fauteuil, c’est que la compétition a déjà commencé tandis que la crise éclate. Qu’au moment où l’information arrive au monde (jeudi matin) la Russie a déjà joué une partie de ses matchs, et qu’il est impossible d’inviter une autre équipe en remplacement. Qu’il semble compliqué, également, d’exclure de la compétition des joueurs que sont sur place. D’annuler les résultats de matchs qui viennent d’être joués.
Et surtout, avec ces quelques jours de recul, on observe que la plupart des fédérations sportives ont mis quelques jours à réagir : la plupart ont publié des communiqués le 27 ou le 28 février. A un moment où la compétition de murderball était déja terminée. Alors comment faire ?

Mais ce qu’on observe aussi, c’est que si les fédérations réagissent, c’est car des équipes, ou des athlètes individuel.le.s, prennent ouvertement position. Ce qui n’est finalement pas si fréquent dans le monde du sport. De ce point de vue là, la fédération polonaise de rugby fauteuil est en avance sur d’autres, mais on voit bien que l’ensemble des instances sportives polonaises tiennent la même ligne : Plutôt essuyer une défaite par forfait que de jouer un match contre une équipe russe, quelque soit sont drapeau.

On a donc la Pologne, qui en déclarant forfait, renonce à sa dernière chance de participer aux championnats du monde, auxquels l’équipe à participé à 2 reprises, en 2010 et en 2018.
Alors que l’équipe polonaise devait « statistiquement » gagner face à la Russie, et donc se maintenir en division A, tout en ayant encore une chance de se qualifier pour les championnats du monde.
A la place, la Pologne termine 8e et dernière du championnat, et retourne en division B pour les prochaines échéances européennes.

Le dernier match joué par la Russie, le samedi 26 février, l’opposait à la Suisse. Match pour la 5e place. La Suisse a choisi de jouer ce match. La Suisse a gagné ce match, remportant par la même occasion le dernier ticket pour les championnats du monde, auxquels ils n’avaient plus participé depuis 2006.
 La Suisse évite par le même coup l’embarras au WWR, qui n’aura donc pas à statuer sur la présence russe aux mondiaux. C’est notamment cette perspective, d’une « qualificaction russe livrée sur un plateau » qui a poussé la FIFA, et d’autres fédérations, a exclure les équipes de Russie des compétitions internationales qui arrivent.
Afin d’éviter que la Russie ne monte au classement au détriment d’équipes nationales qui choisissent le boycott. Afin, surtout, d’éviter des boycotts en cascade lors de la coupe du monde de cet été, (dans l’exemple du foot) dans l’hypothèse où la Russie aurait accédé à la compétition.

Afin d’éviter, peut être, des paradoxes comme celui du championnat d’Europe de rugby fauteuil de Paris, où la France décide de jouer son dernier match de poule face à la Russie, le jeudi 24 février à 18h. La France, qui finira médaille d’or de ce championnat. Dont la qualification aux championnats du monde aurait été assurée même avec un forfait face à la Russie.
La France pouvait décider de ne pas jouer face à la Russie. Pour une compétition qui se déroulait en France. Ça aurait eu une certaine portée. Sans réelles conséquences pour l’équipe sur le plan sportif.
Après oui, la France n’a pas la même histoire que la Pologne vis à vis de la Russie. De manière générale dans ces situations, les questions sont nombreuses, et les réponses simplistes rarement efficaces. Quelle est la responsabilité des athlètes russes, dans cette histoire ? Et pour leurs adversaires, qu’il s’agisse de la Pologne, de la France, de la Suisse ?
Peut-on attendre, exiger, d’athlètes qui s’entraînent toute l’année de boycotter, renoncer à des compétitions à fort enjeu ?
Et en même temps, lorsqu’on représente son pays, avec levée de drapeau et hymne national, qu’on représente son pays dans un événement international, est on juste un sportif, ou un peu plus ?
Et les fédérations, nationales et internationales, que peut-on, doit-on, devrait-on, attendre ou exiger d’elles ?
Surtout que la toute prochaine échéance sportive internationale d’envergure, ce sont les Jeux Paralympiques, qui débutent ce week end, le 4 mars. Y verra-t-on des athlètes russes ? Y verra-t-on des fédérations prendre position ? Des athlètes et des équipes prendre position en leur nom propre ?
[Edit du 4 mars, car décidément la situation change d’heure en heure : l’IPC a décidé d’exclure purement et simplement la Russie et la Biélorussie des Jeux Paralympiques]

La semaine dernière, quand j’ai vu l’annonce de la WWR concernant le boycott de la Pologne et le rappel des règles en cas de forfait sur les réseaux sociaux, la réaction m’a semblé tout à fait normale. Injuste ou immorale, oui, sans doute. Mais tout à fait légitime. Un forfait = une défaite. La fédération ne fait qu’appliquer ses propres règles. Et changer les règles en cours de championnat, ça paraît compliqué.
Et en même temps, les réactions des gens (celles que j’ai pu lire en tout cas) sont unanimes : soutien à la Pologne, au geste fort de son équipe. Parce que oui, envahir un pays voisin, ça ne fait pas non plus « partie des règles ». Sans doute qu’une agression d’envergure exige en retour une action d’envergure ? Alors quid du classement, quid de la supposée « neutralité » dans le sport ?
Suis-je en train, en me cachant derrière le respect de règles édictées à l’avance, d’incarner ce que critiquait Desmond Tutu ? Dans une situation d’oppression, ne pas prendre le parti des opprimés, cela revient à prendre le parti de l’oppresseur.
[Edit : le 4 mars, moins d’une semaine après la fin de la compétition, mais quelques jours après la FIFA, le Comité Olympique, le Comité Paralympique, et un paquet de fédérations nationales, la fédération internationale de rugby fauteuil décide l’exclusion de l’équipe de Russie et des officiels russes de toutes les compétitions à venir]

Surtout, cela m’interroge pour la suite, et pour ma propre posture : Le vendredi à 10h, quand le vigile nous annonce que le premier match de la journée est annulé, qu’est ce que je fais ? Je rebrousse chemin et je rentre chez moi. J’ai été pris par surprise, incapable d’improviser une façon qui me semble juste de réagir, de montrer mon soutien à l’équipe de Pologne. Seul ou presque devant la halle, en l’absence de l’équipe qui a annoncé son boycott, quelle est ma marge de manœuvre ?
Je veux, je dois y réfléchir, car je ne veux plus être dans cette position fataliste où je n’ai pas même un moyen d’exprimer mon soutien.

Car au delà des Jeux Paralympiques de 2022 que je vais scruter de près, l’autre prochaine échéance, (et j’en ai déja parlé) qu’on le veuille ou non, c’est Paris 2024. Comment je réagirais, s’il y avait un boycott sur Paris 2024 ? Comment je réagirai, s’il y a un boycott sur Paris 2024 ?
Il me reste une grosse année pour trouver des solutions, si vous avez des pistes, je suis preneur.

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