Essayer d'[…]essayer le vélo

La vie c’est cyclique. Comme une roue de fauteuil, ou comme une roue de… vélo.
Avant de se lancer sur les projets à venir, un brin de contexte sur mes expériences cyclistes et cycliques.

Enfant (en maternelle), j’avais un petit vélo rose, avec des autocollants de dauphins, un porte bagage miniature, et des petites roues stabilisatrices. On habitait un petit appartement, tout proche du bois. J’ai pas mal de souvenirs avec ce petit vélo.
Mon grand père (un grand cycliste du quotidien alors, et encore aujourd’hui à 90 ans passé), est le premier à avoir voulu m’apprendre le vélo, au début de l’école primaire. Il avait accroché un manche à balai à un vieux biclou, et je pense qu’il a couru un paquets de kilomètres derrière moi en tenant ce manche. Il n’a pas démérité, mais sa patience n’a pas suffit.
J’ai renouvelé cette tentative vers 10 ans, puis vers 14 ans. Cette fois ci, c’est mon papa qui a couru derrière moi en tenant le manche à balai. « T’y es presque ! c’est 3 fois rien ! » Il a raison. C’est peut être pour cela que je persiste autant, et réessaye le vélo de manière cyclique.


Peut être aussi parce que la tentative du tricyle grande taille s’est révélée infructueuse. Je devais être au collège. Ça n’a pas pas été concluant. Il faut dire, un tricyle taille adulte, (sans assistance électrique à l’époque) c’est quand même un gros machin plus large que haut. Ça pèse très lourd (alors que la personne qui le propulse est un ado qui a une faiblesse musculaire dans les jambes !), et avec la force centrifuge, il y a quand même une vraie probabilité de chute dans les virages. (Dès que tu arrives à prendre un peu de vitesse, en fait. La punition).
Même pour le simple usage « loisirs » que nous voulions en faire (balade en famille, vacances…) la logistique est déja énorme. Peux tu le faire rentrer dans une voiture ? Où le stockes tu ? Où et comment peux tu l’attacher de façon sécurisée ? Où trouves tu des chambres à air de la bonne taille pour les roues arrières ? Pas concluant.
Bref, pendant mes années lycée, j’utilise plutôt la trottinette (c’était il y a 15 ans, ce n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui).

Puis j’emménage à Strasbourg.
J’y suis habitué maintenant, (et il faut dire que le discours s’est répandu) mais quand on arrive d’ailleurs dans cette ville, la communication pro-vélo, par les pouvoirs publics ou par les pairs, car à cette époque je suis étudiant, c’est un matraquage. « Capitale du vélo », « Première ville cyclable de France », Challenge « Au boulot à vélo »…
Lourd, comme les gens qui ont le #velotaf dans leur bio Twitter, et à peine moins condescendant. (Not all #velotaf, y en a des bien !)
Tous les quartiers sont positionnés par rapport à leur distance au centre ville (ou au campus) à vélo. Tous les abonnements de transports en communs sont combinés avec une offre de location vélo à bas coût. L’aménagement urbain est pensé pour les piétons, et (un peu) pour les vélos. (Et on le verra plus tard : par vraiment pour d’autres modes de déplacements doux).
De ce fait, je me sens pour la première fois mis de côté en raison de mon incapacité à circuler à vélo. A chaque fois que quelqu’un dit « oui, c’est pas loin, c’est à dix minutes en vélo », je suis celui qui dit « quand on peut faire du vélo ». C’est systématique.

Alors je réessaye une fois de plus. Cette fois j’ai 20 ans. Mais autant, je suis désormais (à peu près) capable de suivre une ligne droite sans obstacles (le démarrage et l’arrêt restant incertains), autant, cette maîtrise n’est pas du tout suffisante pour circuler en ville en conditions réelles de façon sécuritaire.
Les fois précédentes, j’étais déçu de ne pas y arriver, mais ce n’était pas grave. Ça n’avait pas de conséquences directes sur ma vie, ma façon de circuler, mes choix d’habitation. Cette fois ci par contre, je l’ai vécu comme un échec.

[Notes de 2016] Au bout de quelques semaines, tu n’essayais plus. Tu passais devant ton vélo attaché en bas, et te disais « non, pas pour ce trajet, le terrain est trop comme ci ou comme ça ». « Non, pas à cette heure, au retour il fera nuit ». « Non, pas quand il pleut ».
Et à chaque renoncement conscient au vélo, tu te prenais un peu plus ton handicap dans la tête, sans médiation possible.


10 ans se sont écoulés. A Strasbourg et ailleurs. Depuis 6 ans maintenant, j’utilise régulièrement un fauteuil roulant pour circuler en ville, pour mon plus grand bonheur. J’aime rouler dehors, j’aime cette indépendance et cette efficacité dans mes trajets du quotidien. J’aime un peu moins l’inadaptation de la voirie (Bonjour les pavés, salut les pistes cyclables en dévers, coucou les trottoirs pourris). Je suis aussi insatisfait de ma vitesse, qui reste assez proche de celle d’un piéton.


Il est temps de retenter le vélo ?
Cette fois, j’ai appris de mes expériences passées. Et je suis prêt à en faire des nouvelles.
Je suis sur le point d’emménager dans un appartement littéralement installé au dessus d’un arrêt de tram. Intégrer les plans B au cœur des plans A, le meilleur moyen pour ne pas se mettre la pression. Si le projet aboutit, ça sera cool. Si ça n’aboutit pas, ça sera cool aussi.
Puis cette fois ci, hors de question de devoir m’adapter (ou échouer) sur le premier clou venu. Je vais devoir trouver un vélo adapté. Adapté à qui je suis, à ma mobilité, à mes contraintes, à mes trajets.
Et si je n’arrive pas à circuler à vélo, ça ne sera pas mon échec, mais celui du vélo. Il faudra donc l’adapter autrement. Et autrement encore.
Parce qu’une fois qu’on a dit ça « vélo adapté », on n’a pas dit grand chose pourtant. Il existe environ autant d’adaptations que de cyclistes. Sky is the limit.
C’est le cas aussi pour les cyclistes valides : en 10 ans, les vélos cargos, biporteurs et triporteurs, sont devenus plus visibles dans l’espace public. Tout comme les vélos à assistance électrique. Et bien, vous n’avez pas le monopole du vélo…

De quel vélo ai-je envie, besoin ? C’est là la grande question.
Tout est possible. C’est à la fois exaltant et épuisant par avance. S’agira-t-il d’un vélo classique un peu modifié ? D’un tricyle ? D’un module supplémentaire à accrocher à mon fauteuil, pour une propulsion à la force des bras ?
Me coûtera-t-il plutôt 400 euros ou plutôt 4000 euros ? ça dépend. Ça dépendra si l’adaptation nécessaire se trouve chez un marchand de cycles, ou chez un « spécialiste » du matériel médical.
Combien de kilomètres devrai-je parcourir jusqu’à trouver ma monture ? Combien de langues devrai-je apprendre ? Oui, vous êtes habitués, à chaque fois que je veux me lancer dans une nouvelle activité physique, ça se termine en Allemagne. Peut être que le premier mot de vocabulaire que j’ai appris en pratiquant le rugby, il y a 7 ans, « roue anti-bascule », va enfin me servir. Qui sait ?
Pourrai-je aisément le stationner dans le « local à vélo » de mon immeuble, où fera-t-il (et je m’y prépare) 3 centimètres de trop ?

C’est pour répondre à toutes ces questions, et à toutes celles que je ne me suis pas encore posées mais qui surgiront sans doute en cours de route, que j’ai besoin de prendre le temps. De clarifier mes besoins. D’identifier des personnes qualifiées, d’échanger avec elleux. D’essayer, sur le long terme, sur mes trajets du quotidien, différents types d’adaptations. De me tromper, d’être déçu, de laisser ça de côté, puis d’y revenir.
ça me fatigue un peu d’avance. J’aimerai bien, moi aussi, pouvoir pousser la porte d’un magasin de cycles réputé, échanger avec des professionnels compétents, essayer quelques vélos, débourser une somme modique (mes handis sûrs, on se sait) puis repartir avec une monture qui me corresponde, que je puisse la bricoler dans un atelier d’auto-réparation de vélos, que je puisse facilement trouver des pièces pour la maintenance, et même revendre le vélo aisément après quelques années. Tout cela sans réfléchir, sans me poser de questions.
Je suis jaloux, les valides, de vos privilèges à exister dans un monde conçu par et pour des personnes qui vous ressemblent. Je ne suis pas jaloux de vos vies de valides : je suis jaloux de vos vies sans validisme.


Ca me fatigue d’avance, car je sais que le chemin qui s’ouvre devant moi est un peu plus long, tortueux, semé d’embûches. Plus VTT que balade sur la piste qui longe le canal.
Mais je compte bien vous reparler dans quelques temps de cette quête d’une « petite reine » queer. D’où le titre de cet article : Essayer d’essayer.
[Du coup, si vous avez des contacts, des pistes sérieuses, considérez que je suis le petit Poucet, et que j’accepterai avec joie vos petits cailloux]

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