Place des minorités dans le sport – les siècles passent et les questions demeurent

J’avais vu cet automne le documentaire d’Arte « Toutes musclées ». Je l’avais trouvé intéressant, abordable pour un large public, et j’avais réalisé : Il faudrait la même chose avec le sport handi. Une vision politique et sociale du sport handi et de son développement.

Aujourd’hui, la participation féminine aux compétitions sportives, même si elle est minoritaire et inégalitaire, comme le montre bien le documentaire, n’est plus remise en question. Mais elle l’a été. Ces débats semblent tranchés, mais le sont-ils totalement ?
On continue à jouer des coupes du Monde, d’Europe… dans différentes disciplines. Dans certains cas, les compétitions masculines et féminines sont intégrées (Tennis, natation, athlétisme…). Dans d’autres, les compétitions sont séparées (football, rugby…). Dans de rares cas, ce sont carrément les compétitions qui sont mixtes (rugby fauteuil, quidditch…).

Pendant ma dernière insomnie de 2022, j’ai lu une BD biographique sur Alice Milliat, qui retrace son parcours et son engagement pour la reconnaissance du sport féminin.
(Je crois que j’avais déjà noté ce détail sémantique, mais ça m’interpelle toujours qu’on qualifie toujours le « sport féminin » ou le « sport handi », mais que le « sport » tout court, lui, est toujours par essence masculin et valide).
Dans cette BD, on découvre donc ce personnage d’Alice, qui n’est elle-même pas une athlète, mais une organisatrice, une porte-parole, et une « petite main » à l’image d’un grand nombre de bénévoles qui aujourd’hui encore œuvrent dans l’ombre pour permettre au spectacle sportif d’exister. (Je ne vous ai pas encore parlé du « recrutement des bénévoles » de Paris 2024 ? Il faudra que je le fasse, tant c’est ubuesque)

La BD est une occasion de rappeler la vision sexiste, raciste et bourgeoise du sport portée par Pierre de Coubertin, et des critiques qu’il rencontrait déjà à l’époque.
Alice Milliat était de ces critiques. Dans ce cadre, elle a organisé les « Jeux Olympiques féminins », entre 1922 et 1934, puisque les femmes n’avaient pas droit de concourir au Jeux Olympiques [masculins]. Le parcours d’Alice Milliat et des sportives qu’elle a accompagné, leurs engagements, et les obstacles sur leur chemin, illustrent bien que déjà dans les années 1920 et 1930, existait un débat entre des Jeux Olympiques féminins séparés, et des Jeux Olympiques mixtes qui incluent des épreuves féminines.
Ce débat existe encore aujourd’hui pour le sport handi, entre des tenants de Jeux Paralympiques séparés, et de Jeux Olympiques incluant des compétitions paralympiques.
J’avais écrit un article à ce sujet en 2021 (où moi aussi je disais tout le bien que je pense du baron de Coubertin !).


Ce qui est bien montré dans la BD, et que j’ai particulièrement apprécié, c’est l’argument d’Alice Milliat en faveur de compétitions féminines, mais surtout de fédérations sportives féminines : Avoir ses instances permet une autonomie de décision. Cela permet une auto détermination et une auto organisation des femmes pour gérer leurs pratiques sportives et leurs compétitions. Avec moins de moyens et des quolibets au passage, mais le résultat est celui là : les femmes organisent le sport féminin. « Nothing about us without us » en somme.

En revanche, être « absorbées » dans les compétitions masculines / majoritaires, c’est (peut être) (un peu) (à la marge) bénéficier de meilleures infrastructures, de communication, de fonds… Mais c’est surtout que le sport féminin se retrouve organisé et piloté par les fédérations. Officiellement, juste « les fédérations sportives », mais dans les faits, les « fédérations sportives masculines » qui ne disent pas leur nom.
Le sport féminin se retrouve donc organisé par des hommes, dont un bonne part de machos virilistes (On peut repenser à l’équipe féminine de beach handball de la Norvège qui s’est attirée une amende pour avoir joué ses matchs en shorts plutôt qu’en bikini).

Quand Alice Milliat revendique l’autonomie du sport féminin, c’est qu’elle a bien compris l’enjeu de pouvoir qui se cache derrière, dès les années 1920. Visionnaire. Quand on voit que les points qu’elle soulève alors sont encore ceux, réactualisés mais bien présents, montrés dans le documentaire d’Arte, et qui traversent le monde sportif contemporain.

Dans mon article de 2021 – Plaidoyer en faveur des Jeux Paralympiques séparés, je touchais du doigt plusieurs éléments pointés par Alice Milliat de son temps. Mais grâce à l’éclairage de la BD, je le comprends mieux désormais : Pour le sport handi, exactement comme pour le sport féminin, la question des Jeux combinés ou séparés est avant tout une question de pouvoir. Qui contrôle le sport [masculin, valide] ? Qui contrôle le sport féminin ? Qui contrôle le sport handi ?

Actuellement, et je l’avais écrit, on observe en ce qui concerne les Je Olympiques et Paralympiques une convergence : candidature unique, lieux unique, dates successives… Mais également un rapprochement des instances : Le Comité Olympique et le Comité Paralympique, etc. Pour l’heure, nous avons encore des fédérations et des instances fédérales séparées. (Mais une partie des dirigeants de fédérations sportives handies sont des personnes valides, ce qui mériterait débat là encore).
Mais on observe aussi des rapprochements, comme par exemple celui qui a conduit le murderball a être rebaptisé en rugby fauteuil. Ou bien… cette annonce des premiers championnats du monde des parasports d’hiver organisés par la Fédération Internationale du Ski et du Snowboard. Jusqu’en 2022, ces championnats étaient organisés par le comité international paralympique. (A mon avis, il y a donc encore moins d’handis qu’avant aux postes décisionnaires). Au niveau des sports d’hiver, on en est encore aux débuts : mais pour les sports d’été, la liste des délégations des parasports fait déja 6 pages. Jusqu’au 31 décembre 2025, ce sont ces fédérations (valides) qui organiseront les compétitions handies.

Alors, qui serait, sera, notre Alice Milliat du XXIe siècle, pour le mouvement Paralympique ? Et sommes nous vraiment destinés à nous faire engloutir, comme les Jeux Olympiques féminins ?

Publié dans Uncategorized

Laisser un commentaire