Richard III, Phryges, même combat : une représentation en carton (noir)

Je suis récemment allé voir Richard III au théâtre. Globalement, j’ai trouvé la mise en scène épouvantable.
C’est la troisième fois que je vois Richard III joué sur scène. C’est une pièce que j’aime beaucoup. J’avais adoré la premère mise en scène que j’ai vue (MAC de Créteil, saison 2010-2011). J’avais bien moins aimé la deuxième mise en scène (peut être Strasbourg, date inconnue entre 2011 et 2023). Et là, j’ai détesté. (TAPS saison 2022-2023).
Il y a les choix scéniques, bien sûr : les costumes, les lumières, les acteurices, la mise en scène… le dispositif complet.
Mais la raison principale je pense, qui m’a fait basculer de l’adoration à la détestation en passant par l’indifférence en l’espace de 12 ans, c’est ma propre politisation.
Je ne peux plus tolérer une mise en scène de Richard III où Richard :
– Est joué par un acteur valide
– qui s’est « déguisé » en personne handicapée. En l’occurrence : avec des chaussures aux semelles de tailles différentes pour provoquer la claudication, et un gant noir sur la main. Un gant. Je ne vais même pas commenter. UN GANT.

Pour Richard III d’ailleurs, au delà du handicap, on pourrait compléter avec « un acteur beau grimé en moche », ou plus largement « un acteur à l’apparence en accord avec les standards de la normalité, qui se grime en une personne différente / hors norme / perçue comme monstrueuse ».
Faire jouer Richard III par un acteur valide et correspondant tout à fait aux canons de la normalité, c’est mépriser les spécificités de l’expérience vécue des personnes handies (et notamment les acteurices handies). ça montre surtout l’ignorance du monde du spectacle sur l’existence d’une identité handie.

Cela fait quelques décennies qu’Othello n’est plus joué par des acteurs blancs grimés en noir, et c’est tant mieux. Ça fait quelques siècles que ni Juliette ni Lady McBeth ne sont plus jouées par des jeunes hommes, au prétexte qu’une femme sur scène c’est indécent, et c’est tant mieux.
Je pense que je ne pourrai plus jamais voir Richard III joué par un acteur valide. Fut-il excellent, fusse la mise en scène remarquable. Et il serait temps qu’on atteigne ce stade, collectivement.
La communauté trans s’est emparée de ces questions là il y a quelques années. Rien n’est jamais acquis, et on est encore dans une phase de transition (pun intended) mais le fait est que ces dernières années, de plus en plus de personnages trans sont incarnés par des acteurices trans, et qu’à minima, l’identité de genre cis ou trans des acteurices qui incarnent des personnages trans est fréquemment soulignée. Je ne vais pas dire que la repésentation trans est bien faite (bien que cela arrive), mais à minima le monde du spectacle commence à comprendre qu’il y a là un vrai enjeu.

Vous le savez sans doute, mais la France accueille les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024 à Paris. Dans ce cadre, il y a de plus en plus d’événements « Oympiques et Paralympiques », comme c’était le cas, la première semaine d’avril, avec la Semaine Olympique et Paralympique.
C’était le cas aussi il y a quelques semaines, lorsque les mascottes officielles de Paris 2024 ont été dévoilées.
Par le passé, on avait souvent une mascotte pour les Jeux Olympiques, et une deuxième mascotte pour les Jeux Paralympiques. Souvent assez différentes.

[ID : Mandeville et Wenlock, mascottes de Londres 2012, un cyclope bleu et blanc et un cyclope orange et blanc]

[ID : Miraitowa et Someity, mascottes de Tokyo 2020, Une créature bleu et blanc avec le logo olympique sur le front, et une créature rose et blanc avec le logo paralympique sur le front]

Pour les Paris 2024, on a un binôme de créatures a peu près identiques. Elles n’ont d’ailleurs pas de nom individuel. Ce sont « les Phryges ».

[ID : Présentation officielle des Phryges, des créatures rouges vaguement en forme de bonnet phrygien (alternativement : des clitoris) dont l’oeil bleu serait une cocarde. Chaque mascotte a le logo Olympique ou Paralympique sur le ventre. La Phryge Paralympique est amputée de la jambe droite et porte une prothèse d’athlétisme, une « lame ».]


Une version « valide » pour les Jeux « valides » et une version « handie » pour les Jeux « handis ».
Rien que ce choix illustre bien la tension qui peut exister entre « des Jeux unifiés » (un seul type de mascotte, un seul nom pour les deux personnages), et des « Jeux séparés », avec une mascotte pour chaque. Et bien évidemment il semble impensable que la mascotte des Jeux Valides ne soit pas valide, et celle des Jeux Handis ne soit pas handie. Alors que cela n’avait rien de systématique dans les précédentes olympiades.
(Tiens, si on était aussi exigeant pour le recrutement des ministres délégués au handicap que pour la création des mascottes, les choses seraient un peu différentes).

La première semaine d’avril, c’était donc la « semaine Olympique et Paralympique » et donc le prétexte à de nombreux événements pour la promotion du sport et des Jeux, un peu partout en France.
On a donc plein de photos d’officiels du gouvernement en train visiter des écoles ou des clubs sportifs, poser leur cul sur un fauteuil roulant, parler avec des athlètes, et… Des photos des mascottes. 

[ID : capture d’un tweet du ministère des sports, du 3 avril : « Les ministres Amélie Oudéa-Castera, Pap N’Diaye et Geneviève Darrieussecq ont lancé la 7e édition de la semaine olympique et paralympique, placée sous le signe de l’inclusion. Le tweet est illustré de 4 photos sans description d’image, qui mettent en scène les ministres lors des événéments de la semaine]


On passe sur les trop nombreux problèmes de ce tweet, et en particulier celui qui consiste à ne pas proposer de description d’image sur les photos dans les tweets publiés par un ministère, et à plus forte raison quand il s’agit d’annoncer une semaine thématique avec des temps forts sur l’inclusion.
Revenons sur l’une des photos en particulier.

[ID : La ministre des sports Amélie Oudéa-Castera pose avec les deux mascottes. Le costume de la mascotte paralympique est porté par une personne qui n’est pas amputée de la jambe droite (qui ne porte donc pas de prothèse) mais dont la jambe de pantalon est noire, pour reproduire la couleur de la prothèse.]

Le costume de la Phryge Paralympique est porté par une personne valide (en tout cas pas par une personne amputée qui utilise une prothèse), a qui on a juste mis une jambe de pantalon noire. UNE JAMBE DE PANTALON NOIRE. Plutôt qu’une prothèse. No comment. Plutôt qu’une mascotte avec une vraie prothèse, comme la Phryge des dessins.

A quel moment une ministre (et l’équipe de communicants qui travaille pour elle) se dit que c’est bon pour son image de s’afficher dans un tweet avec un crip up (je propose de traduire par handimasque), c’est-à-dire un.e acteurice valide déguisé.e en personnage handi, à l’aide d’accessoires ?
Je trouve ça beaucoup plus méprisant et irrespectueux des existences handies de prendre une mascotte valide et de lui mettre une jambe de pantalon noir soi-disant pour incarner un personnage amputé, et surtout de se dire « ça passe », que de designer dès le début une mascotte valide. Comme c’était d’ailleurs lors de précédentes olympiades.
Ils ont réussi à mettre un handimasque à une une créature qui n’existe pas.
Je répète, ils ont réussi à mépriser toutes les personnes handies bien vivantes en faisant n’importe quoi (UNE JAMBE DE PANTALON NOIRE) avec la représentation d’un personnage fictif.
Je veux bien qu’il y ait, historiquement et politiquement, une origine commune aux pratiques de barbouillage (grimer des acteurices blanc.he.s en personnages noirs) et celles de handimasque (déguiser des acteurices valides en personnages handis).
Mais enfin, peinturer des visages en marron ou en noir, ça ne ressemblera jamais à la peau d’une personne noire, ni à son expérience vécue du racisme et des discriminations.
Mais enfin, un gant noir ne ressemblera jamais à la main d’une personne handie, tout comme une jambe de pantalon noire ne ressemblera jamais à la prothèse d’une personne amputée, ni à son expérience vécue du validisme et des discriminations.

Je ne me sens de toutes façons par représenté par un croisement entre un M&Ms et un clitoris sur pattes, dont le nom est une référence au passé révolutionnaire de la France, tandis que de toutes part les observateurs internationaux dénoncent en ce moment même les manquements aux droits humains et les reculs démocratiques en France.
Mais moi aussi, j’aurai bien aimé pouvoir juste me moquer du ridicule de ces mascottes de Paris 2024, sans me prendre un énième rappel à l’ordre validiste que de toutes façons, mon existence et ma représentation sont dispensables, et au mieux un faire-valoir pour des communicants gouvernementaux valides.

Mais puisqu’on parle de Paris 2024 et des efforts considérables fournis par la populaition française pour faire de cet événement la grande fête sportive et populaire qu’on nous promet, je vous rappelle qu’il reste encore quelques jours, jusqu’au 3 mai, pour se porter (in)volontaire pour l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques. Une formidable opportunité de pouvoir, bénévolement (sans hébergement ni défraiement) « ouvrir grand les jeux » pour le bonheur de tou.te.s.



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