Eloge des pantalons kway (j’ai fait du kayak)

Cela faisait longtemps que je n’avais pas livré un compte rendu d’une nouvelle expérience sportive (je vous ai trop bassiné avec le vélo pour ça en 2023). On reprend les bonnes habitudes, aujourd’hui je vous raconte : être trans et handi et faire du kayak.
(La raison qui m’a poussé à me tourner vers cette discipline est à la fois naïve et poétique, et marque complètement mes origines de petit bourgeois : c’est la lecture d’ « Apoutsiak, le petit flocon de neige » de Paul-Emile Victor, et jusqu’à aujourd’hui, c’est cette image qui me vient en tête en premier quand je pense au kayak).

Etre trans et faire du kayak : Honnêtement je pense que ça ne change rien. Sauf comme d’habitude en haut niveau, où les compétitions sont non-mixtes, mais ça c’est commun à la majorité des sports. ça ne change rien, parce que c’est une discipline que l’on pratique habillé, voir même où pas mal de mecs portent une « jupe » parce que ça empêche l’eau d’entrer dans ton bateau.
ça ne change rien, parce que c’est une discipline individuelle, et même si l’on peut être à plusieurs pour faire une sortie, on peut aussi être seul.e, et d’ailleurs à la fin, tu es tout.e seul.e sur ton bateau. Je pense que de ce fait, les personnes qui pratiquent le kayak échappent à un certain nombre de dynamiques de groupe ou d’esprit « vestiaires » qui sont souvent un terreau fertile pour la transphobie.
Bref, je suis un mec trans qui fait du kayak, mais je ne crois pas que ça aurait été différent si j’avais été cis.

Ensuite, je suis une personne handie qui se déplace une partie de son temps en fauteuil roulant, et cela a un peu plus influencé mon expérience du kayak.
En préambule, le site internet du club communique suffisamment sur son projet de développement du handisport et du sport santé pour que quelqu’un comme moi, qui cherche ces infos, parvienne à les trouver.
Le choix qui a été fait, c’est de prendre les licencié.e.s handi.e.s en individuel sur l’eau jusqu’à tant qu’on ait assez de bases, et soit suffisamment autonome, pour se joindre à un groupe « débutant » sans se mettre en difficulté, ni la personne qui encadre le groupe. L’intérêt de l’individuel étant notamment de prendre le temps de bidouiller le matériel jusqu’à trouver les réglages et les adaptations qui conviennent le mieux, ce qui est plus difficile à réaliser en collectif.

Ce mode de fonctionnement m’a été expliqué par la personne qui allait m’accompagner sur l’eau, lors d’une première rencontre, sur terre autour d’une table. C’était l’été et il faisait 40 degrés, je passais mon temps à m’essuyer le visage, mais c’était cool comme approche. C’était cool parce que la personne du club a pu m’expliquer comment elle voyait les choses, on a parlé des adaptations qui nous semblaient utiles ou envisageables. Et moi aussi, j’ai pu évoquer mes envies et attentes. Vous commencez à me connaitre : Je voulais surtout éviter, en tant que débutant qui vient pour pratiquer une nouvelle discipline en loisir, de devoir trouver tout seul et en direct, des adaptations aux consignes qui me seraient données. Je viens pratiquer une activité principalement pour prendre du plaisir, et se retrouver en stress ou en difficulté parce qu’il faut improviser à partir de consignes inadaptées, c’est exactement l’opposé de ma définition de « prendre du plaisir ». Deal.

Et finalement me voici sur l’eau. La principale adaptation que nous essayons concerne le choix du bateau, et le réglage de différents éléments mobiles : position de l’assise, des cale-pieds… (ça, et une stratégie assistée pour se transférer dans et hors du bateau).
Ensuite, je ne sais pas dans quelles mesures mes premières sensations sur l’eau sont similaires ou différentes de celles de débutants valides.
 Oui, j’ai une coordination assez approximative, et oui, j’ai une fatigabilité importante, qui altère, notamment, ma coordination. Un IMC qui bouge son corps, quoi, rien de trop surprenant. Pourtant, je remarque certaines choses qui, je pense, me distinguent de débutants valides qui s’essayent au kayak : ça ressemble diablement aux sports en fauteuil roulant, ou plus largement, aux déplacements en fauteuil.

– Tu as un matériel « standard » mais avec un certain nombre de réglages possibles, qu’il convient d’essayer en fonction de ton gabarit, de ton degré de maîtrise, et des sensations recherchées.
– A la fin de la séance, tu as des ampoules aux doigts.
– Tu utilises un véhicule qui permet d’atteindre des vitesses relativement élevées dans son milieu, mais qui hors du contexte précis pour lequel il a été conçu, est lourd et/ou encombrant et/ou très galère à transporter.
– Tu utilises un véhicule dont la propulsion ne se fait qu’avec le haut du corps, le bas du corps restant à peu près statique, même si tu peux prendre appui sur tes pieds.
– En conséquence de quoi, quelqu’un comme moi qui ne dissocie que modérément ses membres, termine une session de kayak comme une session de murderball ou d’athlétisme en fauteuil, c’est-à-dire avec autant de courbatures dans les jambes que dans les bras.
La propulsion uniquement avec le haut du corps, c’est une évidence. Mais du coup, je pense qu’il y a pour moi plus de similitudes entre une course d’athlétisme et une course en kayak, que pour des athlètes qui courent avec leurs jambes.
– La protection contre l’eau. Je ne prétendrai pas que la mienne est meilleure – les kayakistes y ont beaucoup réfléchi – simplement, je pense que pour un débutant en kayak, l’expérience du fauteuil me donne une longueur d’avance. (Le pantalon kway, c’est la vie !)
– Et comme en fauteuil également, on peut avoir une tenue étanche, il suffit d’une fuite au niveau du poignet pour que l’eau remonte par capillarité le long de la manche jusqu’à l’épaul, ruinant tous tes efforts pour rester au sec…

Bilan, c’était bien (je vais y retourner).
Je suis encore trop débutant pour pouvoir porter mon attention ailleurs que sur mes sensations physiques et mon environnement immédiat (ne pas trop se cogner dans des branches), mais c’est sûr que l’environnement est plus varié que sur une piste d’athlé. Peut être même que je finirai par reconnaître certaines variétés d’arbres, ou certaines espèces d’oiseaux. Et que ça sera agréable de voir le passage des saisons depuis l’eau.
En attendant, je réalise que pour Apoutsiak comme pour tou.te.s les kayakistes réel.le.s et de fiction du Groenland, iels passent la moitié de l’année à pagayer dans la nuit ! Sacrée performance.

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